Post mortem de 6 startups
June 17, 2016
Présentation
Je m’appelle Jérôme je suis développeur dans le sens large du terme.
En ce moment spécialisé dans le développement mobile natif iOS et Android, je suis passé par le développement web et full-stack.
J’écris avant tout pour faire la synthèse de près de cinq ans dans le monde des startups en tant que co-fondateur technique, j’espère que ça pourra être utile à d’autres.
Je parle principalement du point de vue d’un profil technique en y incluant ma subjectivité personnelle. Pour être honnête ces cinq années ont été folles, de Paris à San Francisco, j’ai pu rencontrer énormément de monde, il est temps pour moi de vous faire part de mon ressenti et de mes erreurs en espérant que cela vous serve aussi.
Les débuts innocents
Cosmoz 2010
En 2010 je quitte Netvibes pour me lancer à la conquête du monde, moi aussi je veux ma success story et je vais monter ma startup.
J’ai 25 ans, je n’y connais rien, je me suis assez peu renseigné (à part sur le fait de bien pouvoir toucher mon chômage), ce sont presque des vacances finalement.
Mon but à ce moment-là, c'est surtout de ne pas avoir de patron.
À cette époque on n’est pas encore nombreux sur Paris.
Je démarre donc une première startup appelée Cosmoz : univers pour créateurs.
L’idée est de permettre aux artistes et à la mouvance DIY (c’était la mode) de pouvoir créer un petit blog couplé à du micro e-commerce, une idée brillante selon moi.
Je me rue sur le développement d’une plateforme from scratch, utilisant les dernières technologies web, le kiff du développeur que je suis. Techniquement ça fonctionne très bien, je contacte une banque pour mettre en place la partie paiement, et là ça coince un peu. Je n'avais jamais auparavant discuté avec une banque, et clairement ils ne comprennent rien à ce que je veux faire, je me rabats donc sPayPalpal.
L’essentiel pour moi maintenant, c’est de trouver des “créateurs” afin de leur faire utiliser Cosmoz (et la tournure de cette phrase révèle déjà le problème qui se profile à l’horizon).
Sur Cosmoz je suis à temps plein, mes compétences étant ce qu’elles sont, je me focalise sur la technique (tête dans le guidon), et le moment venu où je dois assurer la promotion auprès de futurs utilisateurs je me dégonfle.
Pour être honnête, je me suis quand même fait violence, je suis allé à des salons “DIY”, des vernissages, fais de l’emailling, le tout dans l’optique de récupérer des utilisateurs. Mais tout ça est hors de ma portée en termes de personnalité. En plus c’est faire les choses à l’envers : arriver avec un produit fini plutôt que de proposer une solution à un problème existant.
Après un an passé sur Cosmoz, mes seuls clients étaient quelques amis, que je ne faisais pas payer, et qui faisait ça principalement pour me faire plaisir.
Ce que j’apprends :
- Les amis sont de très mauvais testeurs, ils se forcent pour faire plaisir et ne critiquent pas le fond de l’idée (car ils n’en ont pas l’utilité).
- Généralement, ils ne sont de toute façon pas votre cible, à éviter.
- On ne monte pas une startup seul. Même si la technique est un élément clef, ce n’est que rarement le ccœur d’une startup.
- Il n’est pas nécessaire de monter une structure légale tant qu’il n’y a pas d’employés. Globalement il vaut mieux monter une structure légale le plus tard possible.
Citroon 2011
Deuxième startup, Citroon : Contrôlez votre téléphone depuis le web.
Ça n’est pas à proprement parler un pivot, mais c’est dans la continuation, essentiellement administrative (oui parce que monter une société en France, c’est très chronophage).
L’idée est de permettre aux utilisateurs Android d’envoyer et de recevoir sur le web les SMS qui arrivent sur leur téléphone.
Alors pour le coup ça répond à un besoin/problème personnel (ce qui est un bon début), et je me rends compte que c’est autrement plus motivant, car je me sers du service en permanence.
C’est un produit fortement technique, et pourtant je fais attention de ne pas tomber dans les travers du développeur. Je sors la tête du guidon et fais une promotion sur Twitter / Facebook, je suis focus sur mes premiers utilisateurs en les questionnant en permanence sur leur utilisation. Le produit est Freemium et des gens commencent même à payer, quelques personnes de la scène startup parisienne me repèrent, j’arrive à entrer en contact avec Orange par ce biais.
Malheureusement ça s’arrêtera là. Il se trouve que je n’avais plus d’argent pour vivre et que je n’avais pas anticipé ça, plus précisément je n’étais pas prêt à entrer dans une forte précarité pour faire survivre mon idée.
Honnêtement aujourd’hui je pense que c’était la startup au plus fort potentiel que j’ai créée, un peu d’argent entrait tous les mois, le produit faisait parler de lui sans que je force trop la communication, mais à cette époque je ne connaissais pas grands choses aux principes des startups, je n’avais pas encore beaucoup d’expérience, et je n’aurais pas su quoi faire d’une traction même de faible niveau, je suis allé sur la solution de facilité, le CDI.
Ce que j’apprends :
- Il faut être prêt à des niveaux de vie / survie très bas, et pour ça il faut croire fortement en son idée / sa mission
- Il faut réagir au moindre signe de traction et avoir en tête le next step et être bien entouré / conseillé par un mentor par exemple
- On ne monte pas une startup seul (encore une fois)
- Il faut apprendre de ses erreurs (et ce n'est pas si simple quand on va vite)
Pause
Alors que mes finances personnelles commencent à tendre vers zéro, on vient me proposer un poste plutôt sympa, c’est l’heure de la pause startup : je rejoins Newsring.
Je suis employé en CDI pendant quelque temps, ça me permet de me refaire une trésorerie personnelle (y compris cumuler à nouveau des indemnités chômage).
Cependant, je n’ai qu’une envie, trouver l’idée, celle avec en grand “i” et bientôt lancer une nouvelle startup (et ça ne sera que plus tard qu’on m’apprendra qu’il n’y a pas de bonne idée, juste des bonnes équipes et un bon timing).
Montée en puissance de la scène parisienne
On parle de plus en plus startup sur la scène parisienne, le Camping (accélérateur de startup parisien) en est à sa saison 5, les success story américaines ont une grande résonance en France. Certains lèvent même de l’argent sur Paris.
De mon côté, je continue de me tenir au courant, je participe à des startups weekend (en tant que développeur), j’organise des événements perso. Je ne manque aucun Start in Paris, je rencontre des fondateurs de startup qui cherchent des associés techniques (ou des développeurs), mais sincèrement, j’ai toujours pas d’idée de génie.
Budeal et I LOVE PROMO
De Newsring, je suis passé à l’académie du goût (Webedia) mais être un simple employé devient lassant, il est temps pour moi de prospecter activement à nouveau, et pourquoi pas cette fois-ci rejoindre quelqu’un qui a déjà sa propre idée de startup ?
Après tout l’essentiel, c’est de ne pas être seul, et peut-être que je pourrai apporter ma pierre à l’édifice, voire amener à un pivot ?
C’est ainsi que je rencontre Stéphane et la même semaine Jérémy : chacun d’eux a une idée de startup. Stéphane a même un MVP !
Je l’avais déjà rencontré auparavant lors d’un événement entrepreneur. Il a quitté son travail et est passé par une agence pour faire son prototype, Budeal : les petites annonces entre amis.
Jérémy lui vient aussi de quitter son travail et propose une idée tout à fait dans l’air du temps I LOVE PROMO : le tinder de la mode.
Je m'investis à mi-temps dans chacun de ces projets faisant des applications iOS pour chacun, en échange de part dans leurs sociétés.
NUMA : entre rêve et désillusion
Depuis toujours j’avais essayé d’entrer au Camping (maintenant appelé NUMA), j’y ai vu plusieurs amis participer aux différentes saisons, et ça me semblait être un passage obligé pour formaliser tout ce que j’avais pu expérimenter et ainsi arriver au niveau supérieur.
Il se trouve que Stéphane était très motivé pour y participer aussi, on a donc tenté notre chance avec Budeal, et nous avons finalement été sélectionnés pour la saison 7 du NUMA Sprint. Yeah !
Je me dis que je suis enfin sur la bonne route : une équipe, un projet, le tout accompagné par le meilleur accélérateur de Paris !
NUMA en 2015, c’est le successeur du Camping, un accélérateur de startup très renommé, c’est “the place to be”. Un programme bien rodé sur 4 mois, qui a fait ses preuves plus d’une fois (success stories françaises).
Le programme commence bien, avec une intégration réussie, directement on sent une bonne ambiance, la vingtaine de startup sélectionnées partagent la même ambition, ça va être super.
Mais en réalité, NUMA vient de changer et toute l’équipe qui nous a accueilli est en fait sur le départ. L’association qui gérait le Camping se transforme en société et la transition va se faire au détriment de la saison 7 de NUMA Sprint.
Le temps que la nouvelle équipe d’accompagnement prenne ses marques, les 4 mois sont passés, et bien que chez Budeal on ait ressenti un accompagnement et une accélération, le manque de structure de NUMA a clairement pesé sur la qualité générale.
J’en suis sorti épuisé, avec une seule envie : des vacances, loin de tout l'écosystème des startups en général. J’ai commencé une petite dépression tranquille qui à mon goût était justifiée (changement de rythme et perte d’objectif)
Ce que j’apprends :
- Les startups sont à la mode maintenant, c’est d’autant plus difficile
- Rencontrer 1000 personnes, c’est bien, avancer sur son projet c’est mieux
- Il est déconseillé de passer par une agence pour faire une v1 ou même un MVP
- Impossible de gérer deux projets à fond, j’aurais dû arrêter I LOVE PROMO plus tôt
- S’associer à postériori est compliqué, difficile d’imposer ses idées (tout dépend évidement du type de personnalité que vous avez)
- Il faut apprendre à gérer son énergie
Le sursaut Whask
Après un mois de repos, je suis retourné au NUMA de temps en temps, dire bonjour, écouter un événement, etc. Et ça m’avait manqué. Du coup je me suis laissé aller à participer à l’événement Adopt a CTO pour jeter un œil.
Ce jour-là Edouard de Whask pitch son idée, c’est le seul selon moi qui ressort du lot, je ne sais pas encore aujourd’hui ce qui m’a convaincu. J’ai peur que ce soit une mauvaise raison liée à mon état de fatigue / psychologique du moment, mais le pitch était rodé, bien maîtrisé.
Après plusieurs RDV avec les fondateurs de Whask et un refus de ma part de les rejoindre pour cause de fatigue. J’ai finalement accepté. La promesse était que cette fois on avait ce qui avait (selon moi) souvent manqué dans mes précédentes expérience : un bon réseau et un ambassadeur connu qui supportait le projet (et qui devait contractuellement apporter du trafic). Je me suis dit que c’était la recette gagnante.
Dans l’absolu Whask est un énième réseau social, ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille, et j’aurais dû m’en tenir à ça.
Car il se trouve que la célébrité qui nous supportait (y compris financièrement) n’était pas tant impliquée que ça, disons pas assez et les taux de conversion par rapport au trafic apporté étaient décevants. Cela dit je n’ai pas encore assez de recul pour tirer des conclusions sur cette expérience.
Ce que j’apprends :
- Aujourd’hui, on ne fait pas un nouveau réseau social en France
- Le taux de conversion sur un ambassadeur est très bas, il ne faut pas trop compter dessus
- S’associer avec deux personnes qui ont près d’un an d’historique est compliqué
- Il faut bien définir les rôles de chacun, surtout sur les profils non techniques
Conclusion
Après près de 5 ans à chercher le projet ultime, j’ai réalisé que je n’avais jamais fait le point sur mes motivations personnelles, ou du moins pris le recul pour savoir si j’étais toujours en phase avec le monde des startups.
Chacun a ses raisons pour monter une startup, que ce soit une mission quasi divine, une bonne idée, l’envie de reconnaissance sociale ou même simplement d’argent, tout est légitime. C’est ce que je pense, et beaucoup ne seront sans doute pas d’accord. C’est vrai que certaines motivations plus profondes permettent peut-être d’aller plus loin, ou de résister plus longtemps.
Mais aujourd’hui, Startup c’est un buzzword comme un autre, toute personne qui tente de créer quelque chose va s’appeler entrepreneur et veut sa startup. On a même oublié qu’on pouvait avoir du succès en créant une société simple, avec un business modèle défini, qui emploie des personnes et a une croissance correcte / normale.
Et aussi, sans vouloir finir sur une note négative, préparez-vous à ce que ça finisse mal entre les co-fondateurs. Sur trois associations, je ne reste en bon contact qu’avec une personne.
Ne vous inquiétez pas j’y arriverai la prochaine fois,
je prends juste quelques vacances avant,
et je ferai une bonne vieille société à l'ancienne une slowly-forward.